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Les paroles de la chanson
« Couleurs de sables »
Jean-François Battez

La première fois que je l’ai vu, il peignait debout sur la plage
On amenait un soir d’été la Madelon à l’échouage
Et pendant qu’les hommes baissaient le mât, que les femmes rangeaient les cordages
Il n’avait pas bougé d’un poil, la pipe au bec comme un vieux sage
Lorsque j’ai quitté le flobar, avant de prendre le chemin des Garennes
J’ai fait un peu tourner la barre pour voir s’que f’sait ce drôle de jouenne
Il m’a fait signe de la main quand j’ai fait aboyer sa chienne
Là je me suis planté dans son dos, mon vieux sûr ça valait la peine

Ouvrez les yeux, suivez le peintre

Le lendemain de bon matin, il était avec nous à bord
Avec ses crayons, un calepin, mais sans ses peintures couleur d’or
Une main blessée d’avoir poussé, les planches d’un vieux bateau sans port
Il a griffonné grimaçant, comme si en dépendait son sort
On s’est revu aux marées d’échouage ou triment en famille les Berckois
Je lui ai dit le nom des voiles, comment faire pour plier un mat
Il savait rien de la pêche à la corde, de l’art d’attacher mille appâts
Du sable collait sur ses toiles pendant qu’on parlait de tout ça

Ouvrez les yeux, suivez le peintre

Etre ami avec un quégneux, tu vois je l’aurais jamais cru
Mais ce terrien là pendant des mois, c’est notre vie qu’il a vécue
Jusqu’à la saison du hareng, avec nous il a tout connu
Les jours de fête, les rires les chants, le malheur des bateaux perdus
Il est le seul, il est l’unique qui ait dormi dans ma caloge
Il s’est couché à même le sable qui est planché là où je loge
Pour un maigre repas sans vin, une soupe de poisson dans une auge
Il m’a remercié du festin et moi toujours je m’interroge

Et pour me rendre la pareille, m’a invité dans sa maison
Je suis entré dans un soleil et j’ai marché sur l’horizon...

C’est l’aube, dans une lumière de paradis, les lignes et les filets sont sur le sable devant le bateau, les hommes les femmes les enfants sont à genoux pour la prière sur les filets, mais c’est ch’tiot Pierre devant son flobar et là sa fille qui porte ses bottes, son pinard...

C’est la marée, le départ, le soleil perce à l’horizon, toute la famille pousse le bateau on voit bien que c’est dur, on sent la brise qui va prendre, on dresse le mât, les femmes guettent un petit geste des hommes, eux ils ont déjà le nez dans le vent...

V’la la flotte de Berck, ché batieux trapus, toutes voiles dehors, la mer a sa plus belle couleur, verte opale aux doux reflets jaunes, l’eau est transparente, vivante, on pourrait y jeter ses lignes, j’entends le cri des mouettes qui nous suivent...

Les verrotières à marée basse, les gosses dans leurs pattes, le palot sur l’épaule il y en à une qui pose, les autres creusent pliées en deux. Là une atcheuse devant sa maison, ses doigts fin courent sur les lignes et déposent les appâts, elle sourit pas, faut aller vite …

Mais! c’est ma caloge! une coque retournée sur la plage, la porte ouverte sur les dunes, ma paillasse dans son racoin, ma chaise trouée, ma veille table, la traite, héritage du père, pi les lignes à arpéré, les filets à ravauder, sur ch’viu poêle la soupe qui fume...

Sur la mer houleuse on a baissé la voile, la belle voile du matrait et sorti les rames, c’est le cueillage, le corps des hommes suit le mouvement des vagues, la mer n’est pas bonne, y’a de l’écume et ça claque, les hommes travaillent, ceux qui rament, ceux qui tirent, ceux qui décrochent, on voit le poisson qui frétille, son ventre d’argent sur le bois couleur d’orage, l’homme de barre, maître de manœuvre, est appuyé nonchalant sur le bois qui tient la lampe tempête, la lumière fait comme une auréole sur son visage rieur tanné par le vent et la pluie...

Sur la plage, c’est l’attente, les femmes sont assises en groupe, leur tablier bleu sur le bleu du ciel, c’est le seul moment de repos de la journée, elle ont toutes l’air absentes, les vieilles s’endorment, les plus jeunes semblent se laisser aller au rêve, un sourire étrange sur leurs lèvres, elles pensent au visage de ce jeune matelot perdu en mer, ce n’est ni le jour ni la nuit, c’est l’attente...

Des vagues énormes comme des montagnes, dans la furie de la mer et du vent, un bateau se bat, mât brisé, il est déjà à moitié emporté, les hommes à bord s’accrochent à la vie, à l’espoir, un marin debout, agite un morceau de voile, on voit, entre les paquets de mer, à deux encablures, une silhouette qui s’approche, est-ce un rêve? Est-ce un rêve?

Ouvrez les yeux, suivez le peintre