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Les paroles de la chanson
« Exercice de simple provocation avec 33 fois le mot coupable »
Hubert-Félix Thiéfaine

Coupable, coupable

J’me sens coupable d’avoir assassiné mon double dans le ventre de ma
mère et de l’avoir mangé
J’me sens coupable d’avoir attenté à mon entité vitale en ayant tenté
de me pendre avec mon cordon ombilical
J’me sens coupable d’avoir offensé et souillé la lumière du jour en
essayant de me débarrasser du liquide amniotique qui recouvrait mes yeux
la première fois où j’ai voulu voir où j’en étais
J’me sens coupable d’avoir méprisé tous ces petits barbares débiles
insensibles, insipides et minables qui couraient en culottes courtes
derrière un ballon dans les cours de récréation
Et j’me sens coupable d’avoir continué à les mépriser beaucoup plus
tard encore alors qu’ils étaient déjà devenus des banquiers, des juges,
des dealers, des épiciers, des fonctionnaires, des proxénètes, des
évêques ou des chimpanzés névropathes
J’me sens coupable des lambeaux de leur âme déchirée par la honte et
par les ricanements cyniques et confus de mes cellules nerveuses
Je me sens coupable, coupable!

J’me sens coupable d’avoir été dans une vie antérieure l’une de ces
charmantes petites créatures que l’on rencontre au fond des bouteilles de
mescal et d’en ressentir à tout jamais un sentiment mélancolique de
paradis perdu
J’me sens coupable d’être tombé d’un tabouret de bar dans un palace
pour vieilles dames déguisées en rock-star, après avoir éclusé sept
bouteilles de Dom Pé 67 dans le seul but d’obtenir des notes de frais à
déduire de mes impôts
J’me sens coupable d’avoir arrêté de picoler alors qu’il y a des
milliers d’envapés qui continuent chaque année à souffrir d’une cirrhose ou
d’un cancer du foie ou des conséquences d’accidents provoqués par
l’alcool
De même que j’me sens coupable d’avoir arrêté de fumer alors qu’il y a
des milliers d’embrumés qui continuent chaque année à souffrir pour les
mêmes raisons à décalquer sur les poumons en suivant les pointillés
Et j’me sens aussi coupable d’être tombé de cénobite en anachorète et
d’avoir arrêté de partouzer alors qu’il y a des milliers d’obsédés qui
continuent chaque année à souffrir d’un claquage de la bite, d’un
durillon au clitoris, d’un anthrax max aux roubignolles, d’une overdose de
chagatte folle, d’un lent pourrissement scrofuleux du scrotum et du
gland, de gono, de blenno, de tréponèmes, de chancres mous, d’HIV ou de
salpingite
Je me sens coupable, coupable!

J’me sens coupable d’être né français, de parents français,
d’arrière-arrière... etc. grands-parents français, dans un pays où les indigènes
pendant l’occupation allemande écrivirent un si grand nombre de lettres
de dénonciation que les nazis les plus compétents et les mieux
expérimentés en matière de cruauté et de crimes contre l’humanité en furent
stupéfaits et même un peu jaloux
J’me sens coupable de pouvoir affirmer qu’aujourd’hui ce genre de
pratique de délation typiquement française est toujours en usage et je
prends à témoin certains policiers compatissants, certains douaniers
écœurés, certains fonctionnaires de certaines administrations particulièrement
troublés et choqués par ce genre de pratique
J’me sens coupable d’imaginer la tête laborieuse de certains de mes
voisins, de certains de mes proches, de certaines de mes connaissances, de
certains petits vieillards crapuleux, baveux, bavards, envieux et
dérisoires, appliqués à écrire consciencieusement ce genre de chef-d’œuvre
de l’anonymat
J’me sens coupable d’avoir une gueule à être dénoncé
Je me sens coupable, coupable!

J’me sens coupable de garder mes lunettes noires de vagabond solitaire
alors que la majorité de mes très chers compatriotes ont choisi de
remettre leurs vieilles lunettes roses à travers lesquelles on peut voir
les pitreries masturbatoires de la sociale en train de chanter c’est la
turlutte finale
J’me sens coupable de remettre de jour en jour l’idée de me retirer
chez mes Nibelungen intimes et privés, dans la partie la plus sombre de
mon inconscient afin de m’y repaître de ma haine contre la race humaine
et même contre certaines espèces animales particulièrement sordides,
serviles et domestiques que sont les chiens, les chats, les chevaux, les
chè-è-vres, les Tamagochis et les poissons rouges
J’me sens coupable de ne pas être mort le 30 septembre 1955, un peu
après 17 heures 40, au volant du spyder Porsche 550 qui percuta le coupé
Ford de monsieur Donald Turnupseed
J’me sens coupable d’avoir commencé d’arrêter de respirer alors qu’il y
a quelque six milliards de joyeux fêtards crapoteux qui continuent de
se battre entre-eux et de s’accrocher à leur triste petite part de néant
cafardeux
Je me sens coupable, coupable!