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Les paroles de la chanson
« L'enfant de la haute mer »
Julos Beaucarne

Comment s’était formée cette rue flottante?
Quels marins, avec l’aide de quels architectes, l’avaient construite dans le haut Atlantique à la surface de la mer, au-dessus d’un gouffre de six mille mètres?
Cette longue rue aux maisons de briques rouges si décolorées qu’elles prenaient une teinte gris de France, ces toits d’ardoise, de tuile, ces humbles boutiques immuables?
Et ce clocher très ajouré?
Et ceci qui ne contenait que de l’eau marine et voulait sans doute être un jardin clos de murs, garnis de tessons de bouteilles, par-dessus lesquels sautait parfois un poisson?
Comment cela tenait-il debout sans être même ballotté par les vagues?
Et cette enfant de douze ans, si seule, qui passait en sabots d’un pas sûr dans la rue liquide comme si elle marchait sur le terre ferme? Comment se faisait-il...?
À l’approche d’un navire, avant même qu’il fût perceptible à l’horizon, l’enfant était prise d’un grand sommeil, et le village disparaissait complètement sous les flots.
Et c’est ainsi que nul marin, même au bout d’une longue-vue, n’avait jamais aperçu le village, ni même soupçonné son existence.

L’enfant se croyait la seule petite fille au monde.
Savait-elle seulement qu’elle était une petite fille?
Elle n’était pas très jolie à cause de ses dents un peu écartées, de son nez un peu trop retroussé, mais elle avait la peau très blanche avec quelques taches de douceur, je veux dire de rousseur.
Et sa petite personne, commandée par des yeux gris, modestes mais très lumineux, vous faisait passer dans le corps, jusqu’à l’âme, une grande surprise qui arrivait du fond des temps.

Dans la rue, la seule de cette petite ville, l’enfant regardait parfois à droite et à gauche, comme si elle eût attendu de quelqu’un un léger salut de la main ou de la tête, un signe amical.
Simple impression qu’elle donnait, sans le savoir, puisque rien ne pouvait venir, ni personne, dans ce village perdu et toujours prêt à s’évanouir.